(Décryptage) Image de femme malade / séductrice 2019 par Boba Jovanovic

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Comme des Suisses, vouloir être heureux. Voilà ce qui nous manque je crois. Nous sommes trop souvent tournés vers le mal, et vers le désir de nous faire mal en Occident. L’humanité possède ce travers, quand elle ne sombre pas dans l’inconscience. Or l’Occident est sorti de l’inconscience par le catholicisme. Désormais, il lui faut s’affronter aux pièges du bien et du mal, qui le met en danger, mais lui donne aussi une opportunité de cheminer avec Dieu… ou/et avec le diable.

Il existe une ambivalence chez les hommes et les femmes. Le bon gars / le mauvais garçon. L’épouse parfaite / l’hystérique. Ces caricatures sont des fantasmes enfantins structurants. Ils nous permettent de grandir.

Toujours nous sommes tentés en tant qu’homme, de nous laisser berner par une image de femme qui répondrait à tous nos désirs, de manière magique.

Un artiste serbe du nom de Boba Jovanovic a parfaitement illustré ce penchant pour l’un de ces fantasmes : ici la femme malade, détruite, trash, hystérique, punk.

Caricaturale à l’extrême, l’image n’en est pas moins signifiante. Elle est illustration d’une des formes de modernité féminine, et de ces femmes de toujours qui cherchent à attirer le regard, en affichant leur déchéance. Celle-là résonne comme un appel au mâle à venir la délivrer. Le prince, désireux de se valoriser voudra la sauver. La tentation sera forte, de devenir un absolu en se servant de cet individu comme d’un objet glorificateur.

Cédant à son rêve de victoire, le mâle finira par être rejeté, car il aura cherché à se mettre à la place de Dieu. A travers son sauvetage, il se perdra. Il le sait, mais l’esprit de conquête propre à la masculinité l’aura aveuglé. Ses complexes aussi. Il pourra lui en vouloir, la femme concernée, pour préserver son individualité, son psychisme, aura été dans l’obligation de le rejeter. En vérité, elle n’aura pas eu le choix. Une véritable dramatique, très très moderne.

Si nos artistes n’étaient pas subventionnés pour nous vendre des images déstructurantes, ils pourraient se pencher sur cette problématique. Ici, je vais le faire à la hauteur de mes moyens en analysant cette image trait pour trait.

 


Le regard

Tourné vers ailleurs, évitant et le spectateur et le photographe, ce regard cherche Dieu en ce qu’il pointe en direction du ciel. Il exprime un sentiment de tristesse et d’abandon, renforcé par le noir de la pupille et du maquillage, “Père pourquoi m’as-tu abandonné ?”

Comme la femme regarde vers ailleurs, l’homme a envie qu’elle tourne le regard vers lui, qu’elle le prenne en considération, car il souffre d’un manque. La séparation d’avec maman, aussi parfaite soit-elle, ne laisse-t-elle pas derrière elle un sentiment d’absence chez tous les garçons ? Avec cette femme, il pense pouvoir rétablir le lien coupé et former couple, couple primordial, s’il ose l’aborder. Il osera si cette image qu’elle renvoie d’elle, lui imprime un sentiment assez fort pour qu’il accepte de se mettre en danger. Elle est un piège ou une rédemption. Les deux à la fois.

De son côté, puisqu’il faut que j’aide aussi les femmes, et les garçons à comprendre les femmes, cette fille est vide. Mais vide, ça ne veut pas dire rien, ça veut dire comme un appel à être comblée. Tout comme la passivité, le vide est plus fort mais moins puissant que l’action et le plein. Je veux dire par “force” la capacité à vaincre à court terme, et par “puissance” celle à finir par s’imposer.

Elle cherche un homme qui la remplirait de ses croyances, qui la guérirait de ses angoisses, rassurant, amoureux. Elle voudrait sortir de son narcissisme, sa souffrance le prouve, mais elle se sent impuissante à le faire. Elle compte sur un autre. Et ce manque est un appel.

 

La main dans les cheveux

Passer sa main dans ses cheveux est un signal de volonté de séduire chez une femme. Ici la main passe mais s’appesantit sur la tête et l’écrase. Le destin, la fatalité, l’a broyée. Elle est perdue quant à son avenir qu’elle fixe au loin sans savoir, dépitée.

Autre incohérence voulue, le vernis rouge marque la disponibilité d’une femme rejetée, cette teinte en particulier, surtout en ce qui concerne les ongles. Elle suggère à l’homme qui la regarde qu’elle est ouverte à des propositions dans son malheur, justement à cause de sa vulnérabilité.

Le malheur ne fait pas obstacle à la rencontre, et la faiblesse comme bien souvent, donne à l’homme et à la femme une opportunité de se retrouver, quand bien même ce serait sur de mauvaises bases.

 

Les larmes

Les traces de maquillage évoquent des larmes qui ont coulé sans qu’elles n’aient été essuyées.

Elle s’est laissée aller à sa tristesse qui ont fait place à des sortes de scarifications. Elle souffre tant, qu’elle est prête à se détruire. Elle assume aussi sa douleur dans un élan prompt à susciter l’admiration.

 

Une cicatrice sur la peau

La scarification mise en évidence au premier plan du bras gauche renforce encore l’impression doloriste, d’un corps marqué par une histoire passée perturbée. La cicatrisation du vaccin a laissé des traces et symboliquement, la souffrance passée a pesé sur son existence et n’a pas été oubliée.

 

Tachée

Les vêtements sont tachés, avec des coulures qui évoquent le sang dans la forme et l’enfance à cause de la couleur (rose). Ni l’innocence du blanc, ni la rougeur de la femme accomplie, comme d’un entre-deux adolescent, une femme enfant.

 

Les cheveux bicolores

Comme les chevaux, les filles de nos jours ont le crin de plus en plus bicolore. Par contre, leur teint naturel alterne avec une couleur fluo, comme une enseigne luminescente qui vous indiquerait en clignotant : “je suis mal dans ma peau, je suis mal dans ma peau”. La subtilité des reflets colorés d’hier, ou le champêtre des fleurs dans les cheveux, a laissé place à la revendication d’un mal être jeté à la face des hommes : “Je vous préviens, je suis originale, avec moi, ça va valser. J’ai une part décalée en moi. Je suis quelqu’un” (ceci voulant plutôt dire “je ne me sens personne”) Ici aussi, l’affirmation se veut ambivalente, d’une part sombre de la psyché qui rehausserait le caractère et le rendrait attirant, parce que fou.

 

Les vêtements noués

Comme prise dans des langes, notre séductrice est “mal fagotée” dirait ma grand-mère. Mais cet accoutrement est volontairement malséant. Il suggère une pauvreté habillée de draps anciens qu’il faudrait entrelacer pour cacher, sommairement, une nudité exhibée partout. Les noeuds, symboliquement les problèmes existentiels, enserrent le corps et ne le contiennent pas. Voilà un des nombreux éléments qui indiquent que cette femme est offerte, tout au moins que son corps est offert à tous, tandis que cette évidence nous suggère en relief qu’elle n’appartiendra jamais à personne.

Chez l’homme qui la regarde se mêle le désir d’obtenir son consentement pour la vie, de la libérer, et/ou d’en abuser. Maltraitée et prenant son plaisir dans la maltraitance, elle fait écho à des hommes qui ont été maltraités par leur mère ou qui ont souffert de sa folie. Le stade de l’exotisme et de l’impertinence ont été dépassés voilà longtemps chez elle. Nous sommes ici dans le choix d’une souffrance obstinée et donc, de la maladie.

L’entre jambe accessible

Barré par son bras, il semble en interdire l’accès. Mais très mal. Comme de nombreuses femmes, notre sujet aime ici jouer avec l’ouverture sublimée de son sexe qu’elle prolonge par le jeu de son entre jambe.

Nous voudrions voir plus loin en tant qu’homme, qu’est-ce qui se cache par là, l’originalité de la chose si j’ose m’exprimer ainsi, originalité qui n’en a rien d’une, qui n’est que la volonté de conquérir un nouveau trésor, nouveau jouet qui sera bien vite abandonné après un court usage. Cependant la conquête rapide de terres inconnues augmenterait notre tableau de chasse, nous rendrait plus valeureux à nos propres yeux et donc aux yeux du monde. Nous le savons, nous manquons de confiance, nous les mal-aimés hommes encore prisonniers des états d’âme de nos mères. La victoire sur une telle femme nous rassurerait quant à notre valeur, quand bien même cette sirène appuierait probablement sur nos manques si nous nous laissions aller à l’aimer, et nous naufragerait.

Son bas résille moitié filet de pêche moitié toile d’araignée signale aussi la possibilité d’un retournement de la victime en bourreau. La fameuse malédiction de la trilogie bourreau-victime-sauveur qui se répète sans cesse dans des souffrances éternelles. Notre fille mère se fera libérer de ses chaînes par le premier chevalier venu, qu’elle transformera en coupable de ses manques en lui assignant le statut de bourreau, ce qu’il deviendra effectivement, avant qu’un autre ne soit chargé de la sauver, ou bien le même, selon la force de l’emprise qu’elle aura sur le malheureux. Elle se fera battre avant d’aller se faire plaindre. “I can’t live with or without youuuuuu !” .

La posture des jambes désarticulées renforcent encore l’idée de poupée perdue, presque folle.

 

 

Le bas résille troué

Souvent utilisé par des prostituées, le bas résille est ici percé. Tous ces habits détériorés, mal mis, expriment un vécu intérieur cassé, saccagé ou même violé. La déchirure est relative à l’abus de l’usage de l’objet concerné, ou au forçage. L’abus sexuel ou la maltraitance dont cette fille a été victime n’est pas exhibé en signe de repoussoir mais comme d’une invitation à ce que l’abus se répète. Elle fait appel à la part sombre de l’homme qui la regarde. Elle a été sexualisée par la maltraitance à son corps défendant, et elle prend désormais son plaisir dans la souffrance.

 

Elle n’est donc pas comme toutes ces lesbiennes abusées et qui ont renoncé à leur féminité car elles sont incapables d’en gérer les effets, qu’elles sont terrorisées des réactions qu’elles pourraient susciter chez les hommes. Au contraire, elle invite à l’abus de son corps.

Soit dit en passant l’extrémisme féministe appelle lui aussi au viol mais pas toujours comme d’une invitation faite par le corps, plus souvent par un rejet idéologique haineux et puritain des hommes qui signifie en relief : “Vous m’avez déçu, vous m’avez interdit de vous aimer correctement dans mon innocence, je vous hais”.

 

La mamelle avenante

Là encore, un classique de l’attirail féminin en matière de séduction, le décolleté plongeant, avec une lumière venue d’en haut, qui offre à la vue une partie de la mamelle et du soutien gorge. Une possibilité d’y mettre les mains pour un homme. Pour la femme, une exaltation de son moa nourricier. Son corps est donné à la vue, mais interdit dans les actes. Voilà comment la frustration chez l’homme est organisée. Il a le choix entre devenir fou ou indifférent. Et dans ce premier cas, il a intérêt que la donzelle souscrive à sa folie, ou qu’elle soit bien présentée. Dans le second cas, il doit se couper de sa nature de mâle. Tout un programme.

Un grain de beauté et la blancheur de la peau accentuent encore le mouvement asynchrone, l’image de pureté mêlée de tache, à côté de vêtements froissés. Le manque d’unité crée la tension entre deux pôles opposés : celui de l’innocence, celui de la licence.

 

Le rouge à lèvre

Là encore, la blancheur de la peau contraste très fortement avec le rouge à lèvre. Il est dit que le rouge et le noir ne s’épousent pas. Pourtant ici, ils sont bien dans la thématique presque gothique du personnage. Il n’y a pas vraiment d’attirance affichée pour la mort, mais un jeu dangereux. La bouche qui voudrait aimer, est femme, telle que les hommes la fantasment, telle que les petites filles le fantasment. En forme de coeur mais aussi de sexe, elle reste malheureusement fermée, engoncée dans son malheur, ce qui la rend d’autant plus attirante pour un conquistador.

 

Le bracelet

Ce n’est pas un bracelet, mais des chaînes auxquelles cette fille est attachée et qui appellent autant à la libération qu’à l’enferment par le conquérant.

 

L’intérieur de la cuisse rouge

L’intérieur de la cuisse rouge suggérerait presque la mise en scène d’un viol. Bon elle a toujours ses habits. Il faudra en conclure que le viol est passé ou qu’elle aime à s’adonner à de violents ébats. Du coup, là encore, l’ambiguïté règne.

 

La montre argentée

La montre nous rappelle le temps qui passe, que la mort est inévitable, et donc qu’il faut profiter de la vie. A 10h40, elle en est encore à ses débuts, mais déjà midi va sonner et lui rappeler qu’il est bien tard. Elle est en milieu de matinée, et autant anorexique qu’elle peut l’être, la faim commence à se faire sentir. Une faim de reproduction, sexuelle pour l’auteur, mais certainement aussi pour elle, inavouée, toujours réduite qu’elle est à l’état de consommable dans la construction de l’image et dans ce qu’elle transpire.

 

Evidemment la couleur argentée et la forme font penser à la lune, symbole de mère pré oedipienne en ce qui me concerne, c’est à dire de mère incestueuse qu’elle deviendra probablement en devenant grosse puis en déconsidérant son partenaire.

 

 

L’environnement caverneux

La terre est sale, l’environnement maternel l’est donc aussi. Elle n’est pas prête à accueillir la vie. Pour l’homme, cette pseudo stérilité, car elle est réellement féconde, représente la chance de pouvoir continuer dans les relations sexuelles uniquement tournées vers le plaisir. D’être à la fois maître et enfant.

Pour la femme, elle est le signe d’un laisser aller qui s’absout de toute contrainte, de toute morale, une forme de toute puissance, qui se concrétisera dans une maternité imposée à son partenaire, sans engagement, faite au hasard, mais répondant à des aspirations profondes et cachées.

Elle pense être lavée de son passé par la rencontre d’un homme. S’il est attiré par elle, il pense soit à pouvoir continuer à la salir, soit à en être le rédempteur.

La cave est l’endroit du fantasme sexuel par excellence, pour l’habitant de HLM, et parfois des premiers ébats autorisés tacitement, par des filles un peu paumées.

Le graffiti indique bien que nous sommes dans un tel lieu. L’environnement sombre également. La luminosité indirecte projetée sur le ciment, refroidit la pièce.

Petite erreur du photographe, il aurait certainement fallu pousser l’idée jusqu’à éclairer toute la scène avec un néon. Mais c’était risquer sortir de la caricature. Et tout l’intérêt de l’image se situe là.

De même, une femme cassée, de nos jours, est forcément tatouée. Cependant, ce détail aurait porté atteinte à la pureté quasi virginale qui se dégage de ce saccage organisé. 

 

La tarentule et l’ambiguïté

Cette femme anorexique, en manque, rêvée comme étant en manque, se prête à la manipulation du photographe qui peut plaquer tous ses fantasmes sur elle.

Mais qui est réellement manipulé, celui qui regarde ou celle qui s’exhibe ? Voilà tout l’enjeu des relations souvent perverses, de séduction.

Incontestablement la femme mène le jeu. Elle manipule les codes et un langage qui dépasse l’homme qui la regarde, de loin. L’homme est ici, en quelque sorte passif. La femme fait naître l’envie en lui, et si cette envie est assez forte, il sera submergé par son désir. Il en perdra ses moyens et deviendra une proie.

Voilà d’ailleurs ce qui rend stérile les relations de séduction. Elles se font sur un quiproquo terrible, car la femme est en recherche d’un homme stable et l’homme en recherche d’une épouse paisible. Ni d’un prédateur, ni d’un gibier, même si le couple n’est pas exempt de pulsions très archaïques, voir régressives.

Quand je dis stérile, ces relations ne le sont pas tout à fait dans la réalité. Il pourra y avoir fécondation et naissance, mais dans quelles conditions pour les uns et pour les autres !

J’en déduis que la séduction est un piège à éviter dans la rencontre, un piège qui doit s’éviter volontairement pour qu’un couple se forme, et qui s’évite volontairement la plupart du temps. La femme présente son piège à l’homme qui lui répond : “J’ai compris qui tu étais vraiment. Tu as beau vouloir te cacher, je sais qui tu es en profondeur, et ce “moi” profond m’attire, pas cette image de “moi” que tu cherches à présenter au monde.”

A un premier degré, céder au piège, s’est se mettre en danger et entrer en relation avec une personne qui n’est pas faite pour nous. L’homme séduit devient fou ou méprisant. Aucune alternative ne se présente à lui.

La femme séductrice forte de son pouvoir n’en sera pas moins en mauvaise position. Tout d’abord, ce pouvoir pourra lui être retiré du jour au lendemain, parce que moins jeune, parce que l’homme voudra vivre libre (ce que les hommes veulent toujours), parce que forcément décevante dans le fantasme. Elle aura obtenu un homme pour un court instant, pour être fécondée peut-être, mais pas un partenaire pour la vie. D’où le nombre croissant de fausses accusations de viol après les ébats d’un soir, la femme jugeant avoir été trompée, alors qu’elle se sera mise elle-même dans une telle situation.

Pour autant l’homme qui ira au-delà de la séduction pour s’intéresser réellement à la femme qu’il a devant lui, ne sera pas sorti de l’auberge. Il aura intérêt à avoir choisi une femme pétrie de qualités pour la vie de couple, ou bien il en assumera, durement, dans notre société, toutes les conséquences.

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