L’enterrement de notre frère militant

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Les porteurs de moustaches devraient bénéficier d’un préjugé favorable dans notre société. Voilà des hommes qui perpétuent une tradition provenant du fond des âges alors que notre monde est animé par l’idée folle d’être entièrement tributaire de l’avenir. Le porteur de moustaches, cet homme mesuré, assume sa nature pileuse sans lui laisser toute place, et son passé sans augurer des événements à venir. En quelque sorte, il est catholique sans le savoir.

Notre frère portait de longues bacchantes rouquines qui ne nous empêchaient pas de voir son visage rayonner. Son regard perspicace n’était pas dénué de joie, au contraire. Comme nous tous, hommes militants, hommes d’une seule femme, abandonnés, il avait trouvé sa rédemption dans le combat pour les pères.

Notre monde ne comprend pas que des hommes engagés auprès de leur famille, mais violés par la justice aux affaires familiales, ne puissent faire le deuil de leur ancienne relation. J’ai parfois l’impression qu’il nous dit : « Mais comment, vous n’êtes pas passés à autre chose ? La vie, c’est comme ça ! » Il faudrait être un animal privé de coeur pour raisonner ainsi. Et encore y-a-t-il des animaux fidèles. 

J’ai rencontré bien des militants pères sincères qui se sont remis en couple. Ils étaient souvent à côté de la plaque, ne sachant sur quel pied danser avec leur nouvelle compagne, cette dernière les prenant en charge dans une sorte de mystique amoureuse. Les autres, la majorité, nous avons baisé à tout va jusqu’à nous dégoûter de la moindre relation suivie, et pour ce qui me concerne, de la moindre passade. Nous avons insisté en quelque sorte.

Car je ne me fais pas d’illusions. Quand bien même je serais pratiquant catholique, je me dirige aussi vers le fond de l’impasse. Si ***** et les autres ont voulu continuer à militer jusqu’à la mort pour des pères minables, égoïstes, frileux et incapables de mener une lutte en équipe, et ceci afin de se donner une raison de vivre, quant à moi, j’ai misé sur une prise de conscience monumentale chez des compatriotes terrorisés par leur ombre, et pire encore, par celle d’une femme.

Cependant, au bout de mon cul de sac, il y a une croix qui a le pouvoir de rendre possible l’impossible, et voilà qui change tout. Dieu a entendu mon cri alors que toute la société a voulu se boucher les oreilles. Ce sera la conversion, ou la punition. Nos contemporains avides de modernité ont oublié combien l’histoire avait pu être tragique, et combien elle le sera encore. Tout comme ces personnes qui fuient les efforts et qui le payent par des décennies d’un handicap harassant, la loi naturelle va s’imposer à eux. Ils l’ont choisie pour juge. A vrai dire, nous sommes déjà presque morts. La censure de mon site n’en est qu’un des signes évidents. La mort d****** sans avoir obtenu justice en est un autre. 

Apparemment, notre camarade est mort prématurément à cause de la bouffe. C’était un bon vivant. Cependant comme pour Eric Peeters et bien d’autres pères qui se mettent une balle dans la tête ou se jettent au devant d’un train avec leur enfant, je crois que le manque de sens avait pris le pas chez lui sur l’amitié pour les biens terrestres. Seul et abandonné, dénigré, par la femme qu’il avait tant aimé, il n’avait plus de raison de faire des efforts. Un vaisseau sanguin attaqué par la graisse, a fini par péter quelque part dans son corps. Et lui qui appartenait au milieu médical, n’a pas pu être rattrapé. Le voulait-il ? Les cordonniers sont les plus mal chaussés selon l’adage. Son ex va pouvoir toucher la pension de réversion.

Voilà quelques années, nous nous sommes donc retrouvés à son enterrement avec le noyau militant de l’association. 5 personnes en tout. Nous nous étions cotisés pour lui acheter des fleurs et un marbre. Comme cela ne se fait plus, nous nous étions bien habillés, sans pour autant nous être passés le mot, en bons phallocrates. Serrés les uns contre les autres, nous faisions face à son ex-femme, à son fils et au reste de la famille, eux près de la porte d’entrée, nous un peu à l’écart, nous observant en chiens de faïence, ennemis devant l’Église.

Le regard noir de son ex était de loin le plus hostile.  Il nous aurait bien chassé s’il en avait eu le pouvoir. Mais il ne l’avait pas. Nous ne bougerions pas pour si peu. Et cette femme le comprenait. Alors elle nous toisa avec ses yeux pleins de colère, non dénués de tristesse, et ainsi qu’elle l’avait fait probablement avec lui, durant la séparation, nous fit reproche de ses propres manques. Toujours dans le conflit, elle aurait voulu nous imposer l’idée de l’incongruité de notre présence. Et elle entraîna derrière elle, comme pendant le divorce, la société présente. 

Il faut avouer que le souvenir militant de son mari était comme d’une accusation qui lui était portée. J’aurais voulu lui dire combien je la comprenais, mais je crois que cela aurait rajouté de l’huile sur le feu tant elle semblait toujours aussi incapable d’assumer ses échecs, ou seulement d’en prendre conscience. L’oeil a suivi Caïen jusque dans la tombe… Le reste de la famille était bien évidemment terrorisé par cette matriarche émotive et filait doux. Mais cette dernière était plus gênée ou apeurée qu’en colère. 

Autant ***** nous avait laissé le souvenir de quelqu’un de lumineux, de souriant et plein d’humour, bonhomme, autant le comportement de son ex en était éloigné. Toutefois, cette dissonance, nous ne la connaissions que trop dans l’association. Nous n’en étions absolument pas surpris. A vrai dire, je pense que l’inverse nous aurait bouleversé. Cette femme nous était commune.  

L’attitude du fils, calquée sur celle de la mère, nous gênait un peu plus. Mais par expérience, nous savions qu’il n’aurait pu en être autrement. Pris en otage par celle qui l’avait fait naître, sa jeunesse marquée par une nécessaire dépendance affective et financière ne lui permettait pas d’être autonome émotionnellement. Alors naturellement, il nourrissait de la rancune à notre encontre. Combien d’entre nous avaient dû faire face à un tel comportement de la part de leurs propres enfants ? Tous. Nous l’excusâmes donc sans peine. D’ailleurs, notre présence ne se justifiait-elle pas d’abord par la sienne, malgré son ressenti contre nous ? Nous attestions de l’engagement passé de son père pour qu’il puisse en être fier un jour, comme nous aurions aimé que nos enfants ennemis soient fiers de nous. Dans notre combat désespéré, nous étions plein d’espérance, persuadés qu’il finirait par se rappeler de cet instant et que le souvenir de notre présence ici-même contribuerait à le faire grandir, parce que nous voulions que nos enfants ne nous oublient pas à cause de notre engagement militant. Non, les hommes n’étaient pas morts en France, ils n’avaient pas abandonné leur progéniture à des mères abusives, et ici, d’autres frères mâles avait eu assez de respect pour le géniteur mort, pour venir honorer son combat jusque sur sa tombe face à une société déchue. Avec toute mon expérience déçue, j’espère toujours qu’il a pu se faire l’héritier de ce souvenir.

La cérémonie fut d’une banalité affligeante, mais qu’y-a-t-il de plus commun que d’enterrer un mort ? Une vie se résume difficilement en quelques souvenirs mal exprimés et à la va vite. Et puis, il faut permettre aux vivants de souffler un peu. D’où la nécessaire hypocrisie. L’enrobage. Les pieux oublis. Moi-même, je n’aurais pas osé dire à la chaire : « il fut bien emmerdé par cette salope présente à tel banc pour des questions de fric, d’envie et de jalousie. Celle-ci lui pourrit bien la vie et l’éloigna de son fils autant que la société le permit, c’est à dire jusqu’à le faire crever. » Non, c’eût été un peu trop inconvenant. 

Bien plus que les hommes, les femmes bénéficient de cet encadrement social qui leur permet d’échapper à leurs responsabilités. Le résumé lu de son parcours de vie passa donc prestement sur son engagement associatif auprès des pères et s’étala bien à l’aise sur le reste, comme si sa famille même brisée, n’eût pas été au centre de ses préoccupations durant son existence. La vengeance n’est jamais loin de la mesquinerie chez une femme. Avec le curé, elle put l’accomplir à satiété et jusqu’au bout. Je me console en me disant que le silence ou le respect de la liturgie sont souvent les meilleures marques possibles de déférence envers un défunt.

Du coup, je me rappelle surtout de cette toute petite Eglise pas trop loin de la mer. Ce village préservé du tourisme de masse. Le soleil taquin. L’ambiance. Un temps, un lieu qui ressemblait tellement à *****. Un bon barbecue et l’esquisse aurait été parfaite. Mais inutile de préciser que nous n’avons pas été invités par la suite pour le pot du souvenir. Nous sommes repartis à demeure avec l’esprit tranquille d’hommes soulagés d’avoir accompli leur devoir.


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